La circulation alternée à Paris : une galère surmontable par la gamification

Nous l’avons bien compris, la nouvelle terreur, du moins depuis 1 semaine, est ce fameux pic de pollution constaté à Paris. Le problème remonté dès le week-end dernier par les médias était le manque de motivation et d’organisation des parisiens qui pouvait potentiellement les pousser à ne pas respecter des impositions à même de chambouler leur quotidien et leurs déplacements personnels et professionnels. Nous précisons tout de suite que nous ne jugerons pas la pertinence de cette mesure. Non pas par “dé-responsabilité” mais nous estimons ne pas avoir assez de connaissances sur le sujet pour juger de l’utilité de cette mesure pour faire baisser de façon significative le pourcentage de particules nuisibles dans l’air parisien. Nous prenons cet exemple car actuel, permettant d’illustrer des moyens de changer des comportements par l’imaginaire et en exploitant les mécaniques de la motivation humaine.

Les résultats d’hier (lundi 17/03), bien que plutôt positifs semble-t-il, présentent plus de 3 000 PV dressés à Paris par rapport au non-respect de la circulation alternée. Hormis le caractère discutable de cette mesure ou le fait que certains n’y croient pas ou la trouvent idiote, obsolète, et toussa toussa, d’autres préféreront dans tous les cas prendre le risque de payer une amende de 22€ plutôt que de devoir attendre un bus bondé, ou chercher un inconnu pour les amener sur leur lieu de travail.On peut dire donc qu’énormément de personnes n’ont pas eu envie de jouer le jeu, tout simplement car ils n’en voyaient pas l’intérêt (tout le monde veut sauver la planète, mais personne ne veut perdre 30 minutes sur ses trajets de travail quotidiens).

Transformer une contrainte en défi : la base de la gamification

Mais à l’heure de la Gamification à tout va, pourquoi ne pas gamifier ce genre de situation ? Rendant motivant le fait de respecter la mesure imposée il serait en effet possible d’optimiser les chances que les parisiens et franciliens jouent le jeu. Vu le confort de vie que cela a semble-t-il offert aux usagers (moins de circulation et de bouchons, meilleur air, moins de problèmes respiratoires…), peut-être qu’un tel comportement pourra devenir un jour un standard, ne nécessitant pas une journée “spéciale”. Mais encore faut-il que le “prix à payer” pour obtenir ce confort ne dépasse pas les bénéfices perçus par les usagers. Voyons comment la gamification permettrait de poursuivre ce but.

Rappelons des règles imposées par la ville de Paris :

  • Les jours pairs seules les voitures ayant une plaque d’immatriculation se terminant par un chiffre pair (0, 2, 4, 6, 8) ont le droit de circuler
  • Les jours impairs seules les voitures ayant une plaque d’immatriculation se terminant par un chiffre impair (1, 3, 5, 7, 9) ont le droit de circuler
  • Ceci s’applique également aux 2 roues
  • Si le véhicule transporte 3 personnes ou plus, il a le droit de circuler quel que soit le jour et quel que soit le dernier chiffre de sa plaque d’immatriculation (règle ne concernant pas les 2 roues)
  • Les transports en commun sont gratuits

La cible

Afin de motiver les gens à se conformer à cette mesure imposée, il faut d’abord identifier les différentes cibles :

  • Les possesseurs de voiture ayant une plaque se terminant par un chiffre pair. Nous les appellerons les “P”
  • Les possesseurs de voiture ayant une plaque se terminant par un chiffre impair. Nous les appellerons les “I”
  • Les non possesseurs de voitures pourraient ne pas être directement concernés par cette gamification (car n’utilisant pas la voiture). Mais ils peuvent jouer un rôle dans cette guerre contre le mal… oups, j’en dit trop ! Nous les nommerons les “O”.

Les “P” devront faire des efforts les jours impairs. Et oui ! Les jours pairs ils ont le droit de prendre leur voiture. C’est donc lorsqu’ils ne peuvent pas, qu’ils doivent être encouragés à tenir ce comportement demandé par la mesure imposée par la Ville. Idem pour les “I” qui devront faire des efforts les jours pairs. Vous suivez ? De même, un “P” lors d’un jour P ne doit pas se suffire à juste prendre sa voiture. Le système de gamification ne doit pas encourager la circulation seul(e) mais plutôt le covoiturage. La récompense de chaque joueur (enfin, usager!) viendra donc du fait d’avoir pris d’autres personnes à bord de son véhicule. Il faut donc imaginer des mécanismes et un équilibrage suffisants pour encourager ceux qui doivent l’être sans démotiver les autres.

Comment motiver chaque conducteur de véhicule à se conformer à cette mesure ?

Quelques « outils » de gamification

Maintenant que nous avons les règles générales et la cible, il reste à définir un cadre ludique pour transformer cette imposition en défi, en challenge ludique. Voici quelques exemples pouvant servir au développement d’application, de sites web ou autre outils permettant de gamifier la circulation alternée.

La compétition et la collaboration sont des éléments éminemment gamifiants, motivants. L’humain est très sensible à ces notions qui pourront servir de « trigger » (cf. plus bas), de déclencheur afin de rappeler l’engagement, le défi à remporter. Dans le cas de la circulation alternée, pourquoi ne pas imaginer deux factions, la horde et l’alliance les I et les P, qui à la base s’opposent (sur la notion pair impair, dualité/trinité, animaux Vs Plante, etc.) mais qui vont devoir s’allier contre une cause commune : la pollution !

Contexte : Une narration, un enjeu, peut aussi encourager les acteurs d’une situation. Le contexte va donner une profondeur à l’engagement. Éloigner le but du jeu de la réalité peut être intéressant pour ne pas paraître trop moraliste vis-à-vis des joueurs, pour ne pas rappeler qu’il s’agit d’une mesure imposée ou offrir un certain recul pour permettre aux utilisateurs d’apprendre des comportements sans les lier à un contexte potentiellement mal vécu. La pollution peut être présentée comme un démon, un Alien, un gros monstre très vilain, une force inconnue mais prétendument irrépressible (« prétendue » car elle ne comptait pas sur l’existence des sauveurs I et P ! Hahahah … pardon je m’égare), etc.

Les feedbacks réguliers et fréquents vont encourager cette motivation : des retours sur notre smartphone, sur les autoroutes (ex : un panneau publicitaire affichant « aujourd’hui les I démontrent leur supériorité sur les P… la revanche demain ! ») à la télé pendant la météo, etc. vont permettre à l’utilisateur de se positionner, de connaître son état, ses points, et donc les actions qu’il va devoir entreprendre par la suite. On peut aussi imaginer des feedback sur les frais économisés grâce à ces journées à circulation alternée. La possibilité de comparer les deux communautés va donner du challenge à chacun d’entre nous, donnant l’impression de participer à un combat commun pour le Bien.

Des triggers : des déclencheurs d’activité réguliers peuvent être pertinents. Ils ont pour but de rappeler à l’utilisateur qu’il est en plein défi, ce qu’il doit faire, ce qu’ont fait ses adversaires, etc. Ainsi il saura au moins qu’il doit réagir, ou anticiper une action. Un ami qui poste sur son facebook un « J’ai pris un véhicule P aujourd’hui ! Et vous ? », ou un « ce soir, je rentre en covoiturage, vive les I » peut vous rappeler votre mission.

Un anonymat : il faut éviter de permettre aux gens de choisir avec qui ils vont voyager, pour éviter l’effet communautaire (“je suis “I” donc je ne vais voyager qu’avec des “Is” “… ce n’est pas le but). Toute communauté doit avoir des règles claires de gouvernance !

Des points ? Il est possible d’assigner un système de points, de badges, etc. Par exemple : chaque jour, les joueurs devront réussir l’objectif (rappel : « utiliser un véhicule impair les jours impairs et pair les jours pairs », ou bien prendre les transports en commun). A chaque fois que l’objectif est rempli, que les I et les P se plient à La Loi, leur communauté respective gagne des points. Et de même le lendemain en changeant d’immatriculation. Ou bien on peut imaginer un système de points « alternés » : les jours pairs se sont les I qui remportent des points, et l’inverse le lendemain. Enfin, il existe tout un tas de systèmes de points à réfléchir de façon consciencieuse, qui peuvent être simples comme complexes, mais qui doivent rester compréhensibles par les joueurs. Via ce cumul de points on va entrainer le recul du Mal (la pollution quoaaaa !) qui recule chaque jour grâce à l’Alliance des deux communautés. Un feedback quotidien pouvant présenter l’implication de chacun, offrant un gagnant. Et les “O”, on en fait quoi, me direz-vous : et bien, ils peuvent constituer des bonus, des points supplémentaires si on les rallie à notre cause ou jouer les arbitres… D’autres idées, suggestions, propositions ? A vous de jouer :-)

Conclusion

Voilà, l’objectif ici n’est pas de proposer une appli en kit, mais de fournir des outils permettant de réfléchir à la gamification d’une situation afin de changer les comportements des utilisateurs en vue d’une amélioration de la qualité de vie (du moins en théorie).

Les usagers qui se veulent insensibles à cette approche n’auront qu’à suivre les impositions de la Mairie, sans se poser de questions. Les autres feront la même chose mais en participant à un combat qui va les motiver, les valoriser (car ils contribuent activement à un Monde Meilleur) et leur permettre de faire passer plus facilement le temps de transport (en discutant de classement et statistiques avec les compagnons de galère du jour). Nous sommes certains qu’en gamifiant les prochaines journées de circulation alternée (qui arriveront sûrement…) on pourrait réduire aussi bien les bouchons que le nombre de PVs !

N’hésitez pas à partager vos histoires gamifiées, vos systèmes de points avec nous. Nous nous ferons un plaisir d’y réfléchir ensemble !

Auteur/Autrice

  • Loïc Balouzat

    UX Designer - Ergonome cogniticien spécialisé dans les jeux vidéo et les applications ludo-éducatives, Loïc intervient aussi sur des dossiers d’ergonomie logicielle et Web, en apportant sa vision ludique et immersive de la User Experience.