Le World Usability Day 2012 à Sophia Antipolis comme si vous y étiez

Le World Usability Day est un événement incontournable dans le domaine de l’ergonomie et depuis 2005 l’association Use Age (dont LudoTIC est l’un des membres fondateurs) se charge de le célébrer dignement à Sophia Antipolis. Cette année, une fois de plus avec le soutien de la Telecom Valley, nous avons organisé une journée de conférences et ateliers, qui a réuni plus de 80 personnes autour du thème Usages et technologies innovantes : “usability”et “new(s)ability”.

Vous êtes plusieurs à nous avoir dit : “Dommage, je ne pourrai pas être présent au WUD 2012 !”. Voici donc un compte rendu de la journée qui s’est tenue le 14 novembre dernier dans les locaux de l’INRIA de Sophia Antipolis. Les diapositives des interventions ainsi que la vidéo de toutes les conférences seront à disposition sur le site Use Age dans les prochains jours.

Anne-Laure Negri accueille les participants du WUD2012

Les conférences

La première partie de la matinée s’est ouverte avec un rappel des fondamentaux, grâce à la brillante rétrospective historique de l’ergonomie, vue et vécue de l’intérieur par B. Senach (INRIA). 40 ans d’ergonomie en 40 minutes de présentation, de la souris en bois aux Living Labs, ça fait du bien ! L’analyse de l’évolution des IHM de plus fait écho à un billet publié très récemment dans notre Blog. B. Senach conclut en disant que les ergonomes sont amenés de plus en plus souvent à travailler encore plus en amont pendant la conception d’un produit et à être au cœur de l’innovation, pilotée par les usages.

Ensuite S. Belfils a animé avec fraîcheur et spontanéité une intervention sur son retour d’expérience en tant qu’Ergonome Agile IBM : que des challenges, mais c’est passionnant de se remettre en question au quotidien. C’est comme ça qu’on avance ! La cohésion d’équipe propre à l’Agile est aussi un atout pour un ergonome, parfois « oublié » dans son coin à écrire des spécifications IHM… Sandra montre que l’ergonome peut trouver sa place dans les Scrums quotidiens et que le travail de maquettage ergonomique est un élément très important des démos pour la MOA.

Toujours du IBM par la suite, par C. Chat et S. de Bonis, mais sur un autre thème et un autre retour d’expérience, cette fois-ci sur les réseaux sociaux d’entreprise. Un intéressant use case sur l’utilisation d’un RSE pour créer de la cohésion et de la cohérence au sein d’une société recomposée (suite au rachat d’ILOG par IBM). Un bon RSE, avec une bonne gouvernance, est un vecteur d’information nouveau (en comparaison à la machine à café, traditionnel lieu d’échange) et efficace, bien que dans le cas du projet décrit les KPI (indicateurs clés de performance) restent par contre encore à définir. Parmi les effets visibles, les ergonomes ont remarqué une amélioration de la qualité des e-mails : ils ne sont pas forcément moins nombreux mais ils contiennent plus de liens vers le RSE, là où l’information est réellement stockée, partagée et gardée à jour.

En sens horaire : A. Grazka, N. Lukianets, C. Bellino, D. Buchheit

En sens horaire : A. Grazka, N. Lukianets, C. Bellino, D. Buchheit

D. Lockner (doctorant Université de Provence & UX Designer à IRISccg) nous a ensuite éclairés sur les facteurs émotionnels, notion clée dans la User Expérience. Il détaille 3 niveaux d’émotion, en citant Norman : viscéral (basique, visuel et immédiat), comportemental (pendant l’interaction), réflectif (après-coup). L’émotion générant de l’engagement, ce facteur n’est pas négligeable dans le contexte du e-commerce… Mais comment mesurer les émotions ? Par les résultats d’abord (comportements, apprentissages…) mais aussi en étudiant le process et l’interaction en temps réel, grâce à une série d’indicateurs qui seront amplement repris dans l’atelier de l’après-midi.

Un UX expert de Microsoft, N. Lukianets nous a fait travailler notre anglais, avec une intervention sur Big Data et perception de l’information. On a parlé d’émotion, d’attention et de vision. Comment améliorer la perception et comment exploiter les ressources perceptives de l’utilisateur ? Pour cela il faut un bon modèle ! Et cela urge car nous sommes dans un monde avec une quantité d’informations à traiter qui augmente tous les jours. Il nous explique l’Attention Economy : en anglais on dit « payer attention », et non pas “prêter attention”, ce qui est intéressant culturellement parlant. Nous touchons vraiment dans l’innovation lorsqu’il nous parle de Attention Profiling Markup Language, format XML visant à donner la bonne information à la bonne personne, dont on a récolté et analysé les caractéristiques auparavant (ceci aussi fait écho au billet sur l’évolution et les perspectives des IHM posté il y a quelques jours, dans lequel Maurizio Martorana parlait d’interactions automatisées). Nikita nous illustre plusieurs façons de représenter visuellement des contenus riches et complexes, ce qui donne de très bonnes idées à tous les UX designers.

On se restaure !

C. Bellino reprend le flambeau après le buffet offert par Use Age pour nous parler des ingrédients d’un bon Serious Game et comment faire en sorte d’optimiser l’apprentissage via ce type de support. L’engagement, une fois de plus, revient comme ingrédient important de l’interaction homme-machine : surtout dans le cas d’un jeu (sérieux ou pas) il est important d’avoir une bonne idée de sa progression et l’impression d’avoir un défi à relever, mais un défi à sa portée et couronné de récompenses. Si l’utilisateur-apprenant est au centre du dispositif on peut parler d’ergonomie ludo-pédagogique. A. Grazka vient apporter son retour d’expérience chez Orange qui a déployé un Serious Game dans le domaine de la facturation pour faire baisser les budgets liés aux déplacements des personnes à former. Le succès de ce SG est lié à la présence d’un partenaire spécialisé dans la production de Serious Games (Solar Games) et d’un partenaire spécialiste de la formation et de la pédagogie. Nous remarquons que la 2D isométrique a été un choix payant dans ce projet : nul besoin d’un environnement 3D ultra-réaliste et hors de coût qui n’aurait rien apporté de plus au parcours pédagogique. La formule était également très bien choisie, avec un bon équilibre présentiel/distanciel, la présence de tuteurs, la possibilité de devenir un expert (peer learning), les récompenses régulières en termes de « learning points »… Bref, un projet qui a montré une réelle adhésion des participants et un résultat pédagogique satisfaisant. Voilà un projet dans lequel les contraintes budgétaires sont devenues un tremplin d’innovation !

Notre David Buchheit a la lourde tâche de conclure la session des conférences, et nous parle de l’innovation dans les jeux et par les jeux. Les jeux vidéos sont un énorme terrain d’expérimentation mais peu d’ergonomie est prise en compte. Et pour cause : à part des playtests, il n’y a pas de méthodologies spécifique en place. David dresse un bilan de la littérature sur le sujet et des problématiques sous-jacentes à un « bon » jeu. Ce qui est compliqué car un jeu n’est pas un logiciel comme les autres, comme on a eu l’occasion de le dire dans d’autres publications. L’échec et la difficulté d’exécution d’une tâche font partie intégrante du jeu, contrairement aux logiciels. Le but de l’ergonome dans ce cas est donc d’optimiser l’expérience de jeu, telle que le game designer l’avait imaginée, il y a donc des négociations à prévoir. David détaille la méthodologie que LudoTIC tente de mettre en place pour produire des grilles d’analyse heuristique adaptées aux jeux vidéo en se basant sur différentes approches de validation (experte, empirique, expérimentale). Cette méthode fera l’objet de billets de Blog ultérieurs.

Les ateliers

3 ateliers en séances parallèles ont été proposés aux participants.

R. Guerchouche est revenu sur le thème des émotions afin de donner des exemples concrets des mesures objectives (notamment physiologiques) de réaction obtenues au cours d’expériences de réalité virtuelle menées à l’INRIA qui possède un impressionnant dispositif immersif. Ceci permet par exemple d’apprécier les écarts entre ce que les personnes disent de ce qu’elles ressentent “objectivement” grâce à des facteurs comme la température, le rythme de respiration ou la conductance (humidité de la peau).

X. Veyrat (HotApps Factory) et S. De Bonis (IBM) ont animé un atelier participatif concernant le prototypage d’applications mobiles, en particulier en analysant l’outil AppCooker. Après une description des caractéristiques d’AppCooker, la problématique du prototypage basse et moyenne fidélité a été abordée en ouvrant le débat concernant la nécessité de valider les maquettes réalisées par des tests utilisateurs.

T. Colombi (LudoTIC) et A. Luu (Tobii) nous ont offert un aperçu des innovations basées sur le Eye Tracking. En effet l’analyse de l’ergonomie des IHM est une application “qui date” et les nouvelles frontières consistent plutôt à piloter les IHM avec le regard. Les oculomètres se font de plus en plus petits et discrets, au points d’être intégrés dans certaines tablettes et certains laptops… Les applications possibles n’ont pas de limite, aussi bien dans le domaine professionnel (notamment dans les professions qui ont souvent les mains occupées ou dans celles pour lesquelles la rapidité d’exécution des tâches est primordiale) que dans celui de l’Entertainment (lors de l’atelier, il était possible par exemple de jouer à certains jeux vidéo avec le regard).

A gauche : atelier sur le guidage oculaire. A droite : atelier sur le maquettage IHM

Conclusions

Cette journée nous a permis de découvrir plusieurs pistes d’innovation qui dessinent un futur pas si lointain que ça pour les dispositifs informatiques et les IHM. Certains mots-clés sont revenus souvent, comme “engagement” et “émotion”. En effet aujourd’hui l’utilisabilité des interfaces est désormais un pré-requis connu de tous et souvent (même si pas toujours) respecté notamment dans le cas de grands sites web d’e-commerce. Il faut trouver un nouveau facteur de différenciation concurrentielle, l’émotion transmise par le site est un très bon candidat.

Cette journée nous a également permis de remarquer que les ergonomes sont de plus en plus munis d’outils adaptés et efficaces, que ce soit en termes de méthodes de travail (l’ergonomie agile, l’ergonomie ludo-pédagogique, l’ergonomie des jeux vidéo) mais également de techniques de recueil de données (comme celles sur les émotions) et d’outils permettant de concevoir les interactions de demain (comme le guidage oculaire).

En attendant le WUD 2013, suivez l’actualité d’Use Age, qui organise aussi des petits déjeuners, des ateliers et d’autres rencontres sur le thème de l’utilisabilité des IHM.

Photos : Leonid Synyukov

Auteur/Autrice

  • Leonid Synyukov

    Associated Director, UX Lead - Leonid accompagne plusieurs clients dans des domaines métier pointus (santé, banque, gestion comptable…). En plus de ses compétences en ergonomie – il excelle notamment dans le maquettage d’interfaces – Leonid s’occupe des Systèmes d’Information, de notre site web et de la logistique du LudoLab. Leonid est à LudoTIC ce que Scotty est à l’Enterprise dans Star Trek !